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Témoignage sur le Chambon-sur-Lignon

Le terrain de clotte - mardi 30 novembre 2010 - Émouvant souvenir d'une rencontre miraculeuse au Chambon-sur-Lignon plus de 45 ans après la Shoah, raconté par notre camarade Christian de Monbrison

Le Chambon-sur-Lignon, pour tous ceux qui ont eu la chance, on peut dire mieux, le privilège d'y passer quelques semaines, quelques mois, ou comme moi-même plus d'un an, entre 1942 et 1944, c'est une des plus belles pages de leur vie d'homme, parce qu'une des plus belles leçons de courage, de dignité, de fraternité et d'amour.

Mon souvenir que je vous conte commence un matin de février 1943 : j'avais alors treize ans et demi, comme presque tous les élèves de ma classe située dans le bâtiment en prolongement du Temple au bas du village, non loin du pont sur Le Lignon. La classe venait à peine de commencer... La porte s'ouvre... Un grand de l'Ecole entre précipitamment, dit quelques mots à voix basse au professeur et repart aussi vite qu'il est entré. Le Professeur ferme son livre, nous demande de plier nos affaires et de le suivre le cours est arrêté comme dans toutes les classes du Collège Cévenol.

Quelque chose de grave est arrivé. Il est demandé à tous les élèves, à tous les professeurs de se rendre à la Mairie du village au plus vite où il faut tout faire, tout tenter pour empêcher le départ d'un autocar dans lequel des élèves de I'École raflés le matin même dans leurs pensions sont tenus prisonniers. En arrivant à la Mairie nous voyons dans toutes les rues affluer les élèves, filles et garçons de tous les âges, de toutes les classes, entourant déjà l'autocar gardé par des gendarmes en uniformes noir et casqués, mousquetons à l'épaule. Des professeurs se mêlent aux élèves, d'autres avec le Dr Le Forestier tentent de palabrer à. l'intérieur de la Mairie avec l'officier de gendarmerie.

Je distingue à travers les vitres embuées les visages malheureux des prisonniers dont on ne sait le nombre : spectacle insoutenable, gravé à jamais dans ma mémoire. Cela m'a suffi. Sous le choc, et d'instinct je cours aussi vite que je peux à la pension Sagne face à la gare, dirigée par le pasteur Poivre, un ancien de la guerre du DE-THAM en Indochine, mais aussi un grand résistant qui comme le Pasteur Trocmé ne mâchait pas ses mots en chaire, au Temple, pour dire aux Allemands présents notre Foi, notre espérance, face à la barbarie nazie. Là, dans le secret de ma chambre, je cherche fébrilement et je retrouve la précieuse boite d'allumettes où, depuis plus d'un an, enveloppé entre deux couches de papier d'argent, je garde mon bien le plus précieux pour mon jeune frère et pour moi .., au cas où ... qui sait ?... pour survivre en cas de famine : deux malheureux carrés de chocolat noir « d'avant-guerre » d'une plaque de chocolat remise à chacun de ses quatre enfants par notre mère portant l'étoile jaune en nous laissant partir d'Arcachon vers la zone libre en Juillet 1942 sans être sûre de nous revoir jamais... (à cet âge et à cette époque de ration de 300 grammes de pain par jour etc., une seule chose comptait ... une seule obsession : tenir, tenir à tout prix).

Vite je retourne et cours vers la Mairie, vers l'autocar encore là et, me faufilant à travers la foule des jeunes qui retenant leurs larmes chantaient haut et fort « La Cévenole » notre cher hymne parpaillot, et « ce n'est qu'un Au Revoir, mes frères... » J'arrive avant que la porte ne se ferme à mettre dans la main d'un des garçons mon Trésor.

C'est avec se souvenir douloureux au cœur qu'en 1990, étant venu avec mon fils David âgé de 21 ans assister au fameux colloque sur la Résistance au Chambon et sur le Plateau du Vivarais-Lignon organisé par la SHM, je suis repassé devant la Mairie, j'ai retrouvé ma salle de classe, derrière le Temple et ... miracle aussi, j'ai retrouvé là en même temps que moi arrivé là, un des élèves de ma classe, Robert Nizard, miraculeusement sauvé d'une rafle dans une ferme du Plateau, hélas le seul de sa famille. Le dernier soir nous étions tous, environ une centaine, invités par le Chambon à dîner en commun dans les trois ou quatre me semble-t-il pensions ouvertes pour l'occasion du souvenir, et au choix libre de chacun. C'est donc tout à fait « au hasard », mais comme vous le verrez il n'y a jamais de « hasard » que je choisis la porte ouverte d'une de ces pensions où j'aperçois une belle salle, une grande table avec une nappe et couverts autour de laquelle plein de visages joyeux, hommes, femmes, que des têtes grisonnantes, une belle atmosphère de fête.

On entre : juste deux places encore libres : la Chance ! Le dîner commence. Chacun demande à son voisin, à son vis-à-vis pourquoi, comment il est là... Quel est son souvenir du Chambon... et l'émotion est sur tous les visages. En face de moi un homme et une femme environ de mon âge, des américains de New-York. La conversation démarre aussitôt : Qui es-tu ? Christian Et lui ? ton fils ? Oui, mon fils, David Moi... Je suis Jack, et elle mon épouse Eva, nous nous sommes découverts près de Tence, après bien des miracles... Moi, j'étais chez Poivre, devant la gare en 1942-43 Moi je n'ai jamais connu chez Poivre, mais la gare, comme tout le monde, et le petit train... oui, si je m'en souviens ! Et l'école Cévenole, et la Mairie tu t'en souviens ? L'école non parce que je n'y étais pas, j'apprenais la menuiserie. Mais la Mairie oui je m'en souviens parce que lorsque les gendarmes m'ont pris à l'atelier avec mon frère aîné ils nous ont embarqués dans un autocar et on est resté longtemps devant la Mairie entouré d'une foule d'élèves qui cherchaient à empêcher le car de partir. Mais on est parti, tout le monde criait, et j'ai eu la chance de revenir. Et avant le départ, comment ça c'est passé ? Une chose incroyable ! Juste avant que les gendarmes montent et que la porte se referme un jeune garçon inconnu a surgi et a jeté dans ma main une boite d'allumettes en me disant quelque chose que je ne me souviens pas. Dans la boite, enveloppés dans du papier d'argent il y avait 2 carrés de chocolat noir. Je ne saurai jamais qui était ce garçon pour le remercier et lui dire que si j'ai pleuré avec les autres, c'était en pensant à maman et au chocolat qu'elle me donnait quand j'étais sage.

Mon cher Jack, nous vivons toi et moi en ce moment un nouveau miracle parce que celui qui t'a donné cette boite d'allumettes c'était moi et qu'il fallait bien que tu sois le seul miraculé de ce dramatique autocar pour qu'aujourd'hui je sache qui était cet enfant juif inconnu auquel, le cœur déchiré, j'ai, enfant, donné mon trésor un sombre matin de février 1943. Embrassons-nous ! On ne saura jamais ni pourquoi, ni comment de si grands cadeaux sont offerts parfois à l'Homme dans sa vie, comme ici, par simplement LA PAROLE.

Christian de Monbrison (Maslaq 1944-1949)

Ému par l'article de Christian de Monbrison, je rappelle qu'au-delà de la plaque que nos amis Juifs ont élevée face au temple du Chambon sur Lignon, en remerciements à tous les Justes qui pendant la dernière guerre ont sauvé de nombreux enfants juifs, il a été décidé par la Municipalité aidée par de nombreuses institutions de créer un petit centre muséal qui se situera dans la maison face au temple qui porte cette plaque.

Il aura vocation à expliquer pourquoi et comment les habitants du Chambon sur Lignon et les communes avoisinantes ont participé au sauvetage de tant d'enfants juifs pourchassés par la barbarie nazie.

A cette fin une association dénommée Association pour la Mémoire des Enfants Cachés et des Justes a vu le jour. J'en suis le Secrétaire Général et nous allons rendre possible l'élaboration de ce centre muséal qui aura la particularité de présenter non pas tant les horreurs de la Shoa,  mais l'extraordinaire élan de solidarité efficace donné par le Pasteur TROCME et le Pasteur THEIS en faveur des enfants juifs.

Il y a ce lien particulier entre le Collège de Normandie et le Collège Cévenol au Chambon qui a été , pendant la guerre, au centre de ce mouvement de résistance pacifique avec les armes de l'esprit.

Pour avoir été élève dans les 2 collèges , j'ai le privilège d'avoir reçu une formation particulière qui me crée des devoirs que j'essaie de remplir.

André Gast (Clères 1962-1969)

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